mardi 9 septembre 2008

Où s’en va le marché?

Avec de plus en plus de mes clients qui me lâchent pour les grande agences américaines, je me demande, comme vous peut-être, où s’en va le marché québécois.

Ces clients ont en commun que leur siège social, situé aux États-Unis, rapatrie de plus en plus des activités administratives de la filiale (ou de l’acquisition) canadienne ou québécoise, au point où il ne reste plus ici que des représentants. À l’époque où le siège social canadien avait un certain pouvoir décisionnel, il choisissait de travailler avec des fournisseurs locaux, notamment un traducteur québécois, qui connaît le marché local. Si une traduction ne faisait pas l’affaire des représentants, ils se tournaient vers leur siège social pour des explications. La réponse du traducteur n’était jamais loin.

Aujourd’hui, la décision se prend quelque part aux États-Unis, dans un grand siège social, très loin des représentants de la filiale. Centralisation des activités oblige, de plus en plus des tâches courantes de l’entreprise font désormais l’objet de procédures, documentées dans le plus grand détail et adaptées au modèle de gestion du progiciel acheté par l’entreprise, les SAP et autres de la même veine.

Or, les procédures de l’entreprise exigent qu’elles fassent appel à des fournisseurs ISO 14001 ou ISO 9001 ou je ne sais quoi encore. Donc, on y va pour une grande agence américaine qui peut se vanter d’avoir en place le même genre de procédures de contrôle de la qualité que l’on a mis en place dans l’usine du client. Car tout le monde sait que l’amélioration de la qualité d’une traduction passe par le même processus que l’amélioration de la qualité d’une vis ou d’un baladeur.

Mais voilà, si la qualité de la traduction s’en ressent, le représentant sur le terrain à l’échelle locale n’a personne vers qui se tourner pour obtenir une explication. Il a beau s’adresser à son directeur régional, qui va voir son directeur de division, qui va parler au directeur canadien, qui s'adresse au directeur nord-américain... En cours de route, la qualité de la traduction d’un feuillet de vente a perdu toute importance. Ces gens ont de bien plus gros chats à fouetter. Le représentant apprend à faire avec, ou plutôt sans.

Alors la fiche technique bien traduite, qui était utile au boniment du vendeur, est remplacée par un torchon que l’on cache pour ne pas perdre la face. La Charte de la langue française a beau être respectée dans sa lettre, c’est dans son esprit qu’elle souffre. (Et encore, il y est bien noté qu’une mauvaise traduction ne compte pas.)

Vous voulez que j’illustre?

Voici un exemple véritable relaté par un de ces clients. Dans la traduction fournie par l’agence (qui appartient au top 10 mondial), un terme est employé incorrectement. Le client demande à l’agence de corriger. L’agence refuse de le faire gratuitement, prétextant que son traducteur a raison (ce qui est faux) et qu’il s’agit d’une simple préférence du client. Mon client s’entête, demande de parler au supérieur du gestionnaire de projet, sans succès, et se rend ainsi quatre niveaux de gestionnaires au-delà du responsable initial du projet, toujours sans effet. À la fin, le client corrige lui-même le texte, paie la facture et... continue de faire affaire avec cette agence!

Si l’agence de traduction n’est pas en mesure de fournir une traduction correcte ni d’apprendre les exigences du client et de son industrie, qu’est-ce donc que le client achète? Pour moi, la réponse est dans les quatre niveaux de gestionnaires qui isolent le client du traducteur. Pas étonnant que les tarifs payés par ces agences soient dérisoires malgré qu’elles facturent à gros prix. Dans le cas qui m’intéresse, la facture est de 29 ¢ US le mot nouveau et 21 ¢ pour les répétitions.

Or, ces 21 ¢ le mot pour les répétitions n’assurent même pas une vérification en contexte par un traducteur. C’est le gestionnaire de projet — qui ne parle pas français — qui s’occupe de passer le texte à la mémoire de traduction et de ne faire traduire que les bouts qui manquent. Le résultat manque tellement d’uniformité que la responsable du projet chez mon client, qui elle non plus ne parle pas un traître mot de français, détecte elle-même les erreurs et doit les signaler à l’agence.

Ai-je mentionné que je trouve cela aberrant?

Alors, voilà, la question est lancée. À mesure que les entreprises québécoises et canadiennes se font absorber par des groupes américains qui voient éventuellement leur intérêt dans un rapatriement de la totalité des activités administratives, comment allons-nous tirer notre épingle du jeu? Et je ne parle pas seulement des indépendants comme moi. Les petites agences québécoises risquent d’y passer également.

Ou bien suis-je le seul à vivre une telle situation et à s’en inquiéter?

Je commence à croire qu’une solution réside dans la protection de notre marché. Ma proposition? Exiger que les traducteurs agréés soient les seuls habilités à effectuer les traductions mandatées par une loi (notamment la Charte de la langue française). Excessif? Peut-être, mais il faut parfois rêver...

Alors, qu’en pensez-vous, chers collègues?

1 commentaire:

  1. Anonyme15:09

    Excellente réflexion faites de fines observations sur les dérives de la globalisation à outrance.
    Nous ne sommes pas des fourmis et pourtant nous ne pouvons résister à la facilité de tout passer au rouleau compresseur de l'uniformité industrielle.
    Et l'ironie et que nous voulons traiter l'outil le plus expressif de notre humanité - la langue - comme une vulgaire boite de sardine et la dépersonnaliser.
    Le plus drôle encore est que les responsables de la campagne publicitaire voulant nous forcer à ingurgiter leurs produits feront appelle à la 'localisation' pour ajouter juste ce qu,il faut de couleur locale pour nous berner!

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